Récits poétique (suite)
Textes façonnés en atelier. (Suite)
Dans ce hameau de schistes et de lauzes
Dans ce hameau de schistes et de lauzes,
Sans vitre, ni porte,
Le vent glacial traverse les maisons
En spectres aux robes blanches.
Le voyageur secoue sa veste pleine de neige,
Frappe son chapeau contre le seuil de la porte
et prend refuge à l’abri du vent.
Les embruns d’étoffe blanche s’engouffrent avec lui,
Tourbillonnent dans le couloir.
Quand le voyageur s’apaise,
Ses yeux s’invitent dans l’intimité abandonnée
D’une famille, d’un nom, d’un même sang.
Les yeux se posent sur le seul objet qui brille,
Encore que piqué de rouille et d’étain.
Bien que fatigué, le voyageur se lève,
Attrape le miroir accroché au mur.
Dans ce miroir, le visage en miettes,
Une étrange émotion l’envahit.
Son visage se mêle aux visages d’autrefois.
Un par et une par une, tous les visages de la maison apparaissent dans ce miroir.
Au-delà des yeux, des joues, des cous rasés,
Résonne une voix,
Une putain de voix ! se dit le voyageur.
Les spectres tirent les voix du miroir
Comme on tire le vin du fut.
« Étranger, tu amènes la peste ! »
« D’où viens-tu ? »
« Referme l’étable, abruti ! »
Le voyageur reprend son bâton,
Prêt à frapper les spectres de neige.
« Viens avec moi, étranger ! »
« Des amandes et du vin de noix… »
« Dans la paille, pour la nuit. »
Le voyageur lâche son bâton,
Reprend le miroir dans sa main gelée.
Des rires d’enfants ruissèlent du miroir.
Le vent les amène jouer à travers les maisons.
Le voyageur remet son chapeau,
Enlace la cordelette autour de son poignet.
Il accroche le miroir au mur.
Une voix nouvelle le retient :
« Avant de partir, remets une buche dans la cheminée. »
Les robes blanches de neige s’affaissent au sol,
Silhouettes de larmes.
« Au revoir, étranger ! »
Un grand geste d’adieu,
Le voyageur ne se retourne pas,
Enfonce son chapeau, serre son bâton,
Il disparait dans la neige.
Deux pattes, un cœur et la sueur
Je bois l’eau froide
De ton grand miroir,
Face à moi, cascade de glace.
L’étendard de ta puissance
Semble s’être endormi
Dans un sommeil sans fond.
Au zénith, cathédrale de glace,
Je plonge ma main et mon regard
dans ton miroir d’espoir,
Tes flèches d’opales et tes gargouilles de saphir
m’invitent vers la lumière.
Une main transparente se tend vers moi,
Ton ruissellement de lucioles,
L’appel, à chaque goutte,
Me guide de l’autre côté
Sans résister, pas à pas.
Ta vallée secrète au grand jour,
Tes flancs fauves,
Ton ventre abondant de promesses,
Semblent frémir sous le vent.
Je ne suis seul que dans mes pas.
De tous ses flancs fauves,
Des billes rondes et vives
Mesurent le risque d’un pas de plus.
Les cous se dressent, les naseaux au vent,
Moi, je deviens une étoffe d’odeurs,
Un simple être vivant,
Sans autre trace que mon odeur,
Un être en noir et blanc,
Deux pattes, un cœur, deux pattes, un cœur et ma sueur.
Ohé ! Ohé mes amis ? Je veux bien jouer avec vous !
Ohé, Ohé, oui, comme ça, cabrer et sauter !
Ivres des premiers bourgeons.
Ohé ohé, j’aimerai poser mon visage sur vos flancs fauves !
Écouter votre langue de chamois,
Ohé, où allez-vous ? Oh, vous avez disparu…
En sautant, en cabrant dans l’invisible inconnu...
J’aime vous suivre
Sur le chemin d’un horizon qui m’échappe,
N’être que deux pattes,
Un cœur et une étoffe de sueurs.
A l’origine
A l’origine, il y a une chaise qui trône sur la grande dune du désert. A moins que ce soit un nid de brindilles et de chiffons dans le tilleul. Parfois, je pense plutôt à l’odeur de café et de charbon de bois, mêlés à celle d’un hachis de persil et d’ail…Parfois aussi, une pensée aux seins généreux parfumés d’eau de Cologne.
Parfois, encore, je ne sais plus la différence, entre moi et ce lieu secret, entre moi et la trace des autres. L’autre a posé sa pierre dans mon édifice. Ceux qui ont quitté, ont laissé valises ici.
Je ne trouve plus mon refuge sur la carte. Un lieu secret sans longitude ni latitude. Je dessine ici une esquisse d’un atlas intime, à la grammaire populaire d’une mère, langue tissée du Sud-Ouest et des faubourgs de Paris, celle de mon père, d’un bourg des Vosges.
Et ma langue à moi ? Mon dictionnaire est une maison de langages, un entre soi de langues intimes, un colportage entre les montagnes, au-delà des frontières.
Assis sur cette chaise au sommet d’une dune, je cherche oasis à mon image.
Je pourrais la nommer. Épeler chaque être sans oublier une lettre. Et si je devais y cacher un trésor, mon trésor, celui qui n’a de valeur que pour moi, j’y poserais aussi, à côté des photos,
les carnets de notes, de projets, les carnets de douleurs, là où personne d’autre a mis son nez, mon carnet de l’être. Trente carnets de hauteurs, feuilles de routes imaginaires.
Depuis ma chaise, posée sur la grande dune du désert, je ne suis plus perdu, je suivrais ces carnets, ses sons, ces souvenirs comme des cailloux parsemés sur le chemin, pour retrouver ma route.
Mélèze à mésange
Un mélèze m’accueille, sur son tapis orange
Il a découvert son châle de neige.
La terre tiède accueille mon corps.
Mes yeux se ferment.
Tout devient noir comme un long tunnel de fatigue.
Plus tard, mes paupières laissent passer la lumière.
Une ombre silencieuse traverse mon regard d’aveugle.
J’entends piqueter l’écorce.
Je pense à une mésange de quelques grammes qui survit à l’hiver.
Alors que mes yeux cherchent là où les ailes ont battu, ce que j’ai cru entendre, n’est pas là où je l’attends.
Ce qui m’attends est l’image de mon père. Je le vois façonner des boules de suif piqué de graines de tournesol. Je le vois monter à l’échelle, dans chacun des arbres, où il a accroché une boîte aux lettres pour les mésanges.
J’ai entendu un piaillement à la cime du mélèze. Je ne vois qu’écorce et lichens, et partout dans ma tête, je vois aussi ces boîtes aux lettres aux lettre. Et j’imagine les partitions des mésanges qui se glissent dans ces boites.
Le soleil s’est enroulé dans les branches et me fait plisser les yeux.
Mon regard se coule dans un long tunnel, qui débouche dans un champ de printemps.il disparait dans la neige.
J’apparais telle une taupe dans ce champ de jacinthes. Les mésanges sont en fleurs. Leurs ailes battent au vent.
J’éternue et tout disparaît. Le nuage dévore le soleil
J’entends des pattes de soie qui recousent les branches.
Est-ce que j’aurais droit à un attention ? Suis-je devenu le corps le plus chaud dans ce paysage sans soleil.
Elle s’est présentée par deux sons de cristal. La mésange m’a ouvert les yeux. C’était elle. C’était moi.
Si vient le grand désert
Sur ta langue,
Je verserai mes larmes,
Si vient le grand désert.
Récolte ma douleur,
Puise dans ma gorge,
Presse mes poumons.
Prends tout ce qu’il me reste
Je m’abandonne à toi
Si vient le grand désert.
J’ai tout chanté,
tant crié, vociféré,
pour repousser le grand désert.
Je mouillerais la mousse de tes lèvres,
Mon corps sera mousson,
Si vient le grand désert.
Si se fissure la terre,
Si le souffle du vent dessèche.
Si le sable emplit ta bouche.
Pour que tes yeux s’ouvrent encore,
pour que tes lèvres, ta bouche,
pour que ta gorge, vibrent de rires.
Je verserai mes larmes
Dans le creux de ta langue,
Si vient le grand désert.
Perdu dans un champ de coquelicots
Perdu dans un champ de coquelicots,
A chercher le soleil,
Là, je me suis perdu, je ne sais plus,
Juste le souvenir d’une forêt de coquelicots et d’oiseaux de feu,
Le goût sucré des pétales, en mouillant mes lèvres avec ma langue,
Le goût capiteux des fruits d’été;
La légèreté des corsages qui frémissent aux quatre vents.
Le bourdonnement joyeux d’un mariage
M’est revenu durant le long et triste silence,
Quand les abeilles ont disparu.
L’absence des elfes dans mon jardin d’enfance,
Le buis et le figuier sont silencieux.
Les cloches de verre sont vides.
Ce que j’ai perdu, perdu, perdu…
Perdu, parmi les truites et les écrevisses,
Sans plus de sens que celui des torrents.
Je perds mes vêtements et mes repères.
Je n’écoute ni mes remords ni mes points forts.
Je rejoins l’orchestre des forêts.
Je ferme les yeux comme on embrasse une épouse,
L’eau précieuse me caresse dans son lit de printemps.