Récits poétiques

Juste une voix. Les mots voyageurs, 2023. Collectif.

J’ai tracé de rien, un nouveau chemin

J’ai tracé de rien, un nouveau chemin dans la forêt, une forêt figée par le brouillard. Une neige de feutrage, brassée par mes pas. Les derniers flocons tombent mollement. Je traçais toujours une tranchée nouvelle.
Les brumes se sont apaisées.
Le chant silencieux de la fonte, goutte à goutte, perce la neige. Des mésanges silencieuses sur un trapèze de brindilles.Les brumes se sont effilochées.
Derrière moi, les tranches blanches de mon passage telle une longue trainée de temps. Une écharpe de lichen sur une écorce aux veinures de safran.
La dernière brume s’est détachée de ces deux mélèzes.
Un bruit nouveau s’accorde au chant du dégel. Comme si des dents grattaient l’écorce.
Tel un fantôme émergeant de la neige et de la brume, tel un vaincu, exclu, tout entier immergé dans la neige, il traçait sans doute son nouvel exil, ce cerf blessé aux cormes ornées de grelots de glace.

 

Écoute ce poème de ma bouche

Écoute ce poème de ma bouche. Ma bouche n’a ni langue, ni lèvres, juste une voix…
Toi, qui tout en bas, si petit, toi qui tire et tend ta langue, toi qui m’offre à tout vent.
Ton cœur est si chaud. Attends-moi, je viens de si haut. Attends, attends, j’arrive, je viens de si loin, je tombe, je chute, je tourne et vire, acrobate du vide, attends-moi, ton cœur est si chaud.

Je suis Quarik, l’étoile qui tombe, Pukak, l’étoile cristalline, Sitiluquaq, l’étoile qui durcit, Quamittag l’étoile fraiche. Ecoute ce poème de ma bouche, moi qui n’aie ni langue ni lèvres pour t’embrasser. Bientôt c’est toi qui va me brasser comme on foule le raisin. Je suis grésil, poudreuse, regel, frittage et feutrage, aiguilles, pétales, étoiles.

Écoute ma voix aux abois
Je suis les six étoiles qui tombent, attends-moi, je suis le fruit du froid et de l’eau. Mon corps a six branches. Ma première efface les paysages. Ma seconde étouffe les bruits. Ma troisième ouvre les bouches et écarquille les yeux. Ma quatrième glace le sang. Ma cinquième t’isole du blizzard. Ma sixième t’irradie de lumière.

Quarik, Quamittag, Sitiluquaq, Pukak, Anniu siku, mes mots inouïs, mes mots inuits.

Écoute ma voix aux abois qui s’accroche à ton corps si chaud. Ecoute mon chant silencieux, ma voix de lune, écoute le cri horrible, impuissant, terriblement muet de celle qui, bientôt ne sera plus, détruite par un être sur terre dont le cœur est plus froid que le mien.

Michel Abax in, Juste une voix. Les mots voyageurs, 2023. Collectif.

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