Couverture de l'ouvrage collectif ESCRIVERE A PALERMO ET AUTRES RIVAGES

Scrivere Palermo et autres rivages

Ouvrage collectif.
Atelier d’écriture animé par Noëlle Mathis
Les Mots voyageurs,
Novembre 2025.

Vient de paraître

 

Textes de Michel Abax dans l’ouvrage collectif


Une voix me dit de partir

Une voix me dit de partir,
Larguer les amarres,
Prendre le vent.
Des courants d’air y mènent tout autant.
Il y a un âge pour chaque voyage,
À l’écoute des voix de tous âges.
Sur le marche pied d’une invitation
J’aime sauter dans les wagons d’images.
Voir défiler mille rails,
Mène aux plus folles des histoires.

Je vais, vagabond, explorer
Des volcans de vie, d’une idylle Sicile.
Inconnue encore, ou à peine effleurée
Aujourd’hui, j’entre à Palerme par la petite porte,
Sur la pointe des pieds, mes yeux grands ouverts.
J’entre par le nombril,
Je glisse dans le ventre, je cherche le cœur.
Là, où grouillent rascasses, grenades,
Valves de saveurs, de sueurs, d’humeurs.
J’entre dans le ventre des étranges.

Je me pose à la table de désorientation.
Me perdre, me perdre,
Donner confiance aux repères du cœur.
Qu’il batte au diapason du mystère.
Se perdre, c’est vagabonder nu,
Parmi des pierres, des faire, des terres d’autrui.
Se draper de textures, de motifs, de soies exotiques,
Se nourrir des sourires et des peines, de rives inconnues.


Se désorienter, là où
L’Orient, l’Occident, l’Afrique engendrent une riche métisse.
Là, où s’échouent cohérences, croyances, évidences.
Là, où se croisent croissants, croix, étoiles.
Figures mauresques, conquérants normands, Vikings,
Anges malins, pénitents obscurs, hommes du déshonneur.
Palerme, aux milles visages.

—-

J’aimerai colorer ton œil

J’aimerai colorer ton œil,
Partager des parfums
De frangipane, de caroube, de jasmin.
Chair de pamplemousse, Palerme aiguise l’appétit.
Un récit, ici, se déguste avant dîner.
A petits pas, viens, dans le ventre de Palerme.
Goutte à ce jus de grenade, à la figue de barbarie,
Promène tes yeux sur les melanzane, les zucchini,
Les uva, les trombette,
La scalapuntafuna, invention, fruit imaginaire,
Ignorance fructueuse du voyageur.
Quête d’indices, de sons, de sens,
Délices sucrées, en forme de sein, Casata, téton de cerises,
Triomphe de nonne, canolo, si sont tes souhaits.
Défilé laiteux de ricotta, pecorino
Scandés par des cris sauvages et crus.
La mer dans la rue, lei scampis, ancholis, caponis, tonno, denti.
Vagues d’argent, odeurs de l’argent.
Musiques de rue, entre deux portes, de gorges à gorges,
Regards fiers, directs, regards crus.
Petit peuple aux regards insoumis.
L’humilité prudente. Le regard comme seul présence.
L’invasion des sens à la quête de sens, 
Orientation vaine. Déambulations quotidiennes
A peine deux pages d’une encyclopédie sicilienne.

Des errances dans la vieille Palerme
Aiguisent ma fabrique d’images.Je sais, je sens, j’imagine.
Canons, hallebardes, fléaux, épées mauresques,
Longs chants lugubres à la tombée du jour,
Prières de minarets, doctes rabbins, alchimistes grecs,
Marchands phéniciens, chevaliers des croisades, chars américains, 
Femmes soumises, femmes résistantes,
Torses de mâles, torses de métal, honneurs de chasseurs,
A coup de goupillons, de grenades de mitrailles,
Baptisés, enterrés, sacralisés.
Le goût amer de la violence, le goût du sang dans la bouche,
Regard voilé d’indifférence,
Le goût du sang étrangle la parole.
Écarte-toi, parfois, des rues désertes,
Tes pas réveillent les morts.
Des fantômes envahissent l’espace.
Des silences, des soumissions.
Le silence ici, se niche dans les gorges.


Reprends le chemin des agrumes,
Agrège toi aux arches de jasmins,
Aiguise tes sens d’anges, cherubini, qui é ora.
Mêle ton corps à la physiologie de la ville,
Au creux des cicatrices destructrices,
Glisse dans les sillons des rides,
Suis les veines, les artères brûlantes,
Les cœurs bouillonnants de la città.
Comme toi, la ville a ses remparts et sa crinière d’étendards.
Deux ou trois pages que mes pas dépassent.
Tout n’est que mystères. 
Quête sans fin de sons, de sens, de délices. Palerme.

——

Ombres et lumières

Le dernier rayon de soleil
passa entre les murs de la rue
jusqu’au jardin, glissa entre les feuilles.
Le fruit amer attendait sa promesse.
Sa sphère se gorgea de soleil, de sucre.
Le fruit tomba sur le sol, roula sur la dalle,
Rebondit de marche en marche,
Sans qu’aucun enfant ne puisse l’attraper.

Le soleil bruisse sur les tôles.
Les tuiles et les tôles grésillent
Sous la braise d’août.
Le pavé ne supporte plus que des ombres.
Dans la sombre taverne,
Des éclats de verre
Traversent la pénombre.
Des paupières clignent.
Un œil éclairé par un éclat de verre,
Un œil sombre où brille le soupçon.
Une ride au coin bat au rythme d’une pendule.
L’œil bouge, se dirige vers l’autre œil, là-bas,
Éclairé par l’allumette éphémère.
Lui, surveille le visage coupé
Par l’ombre du comptoir.
Demi-face, blanche de résignation.
A contre jour, la porte de la rue,
Frappée par la lumière de braise.
A contre jour, une silhouette de femme
Une silhouette drapée de la tête aux pieds
Entre dans la taverne du silence.
Regards aimantés des hommes de l’ombre.
Des yeux de soupçons, de résignation.
L’horloge sonne le temps des silences.
Les nuques se dressent.
Les yeux convergent, cherchent un visage.
Un grand geste solennel de la silhouette.
Le drap glisse, découvre la tête.
Une chevelure vivante. Un visage de marbre.
Une femme à la chevelure de vipères.
Regards pétrifiés, corps de marbre,
Les hommes de pierre ne connaissent que l’ombre.

À la rosée, un parfum de fleurs d’orangers.
Douces sphères sucrées, couleur soleil.
Les petits ballons pesaient,
tiraient, prêts se détacher de la tige.
Le vent du sud annonçait le détachement.
Elles chutaient toutes rondes,
Les petites balles orange,
Elles tamponnaient les bords,
Sautaient de marche en marche,
Dans les ruelles, longeant les murs,
dans une course rebondissante.
Et l’enfant, au petit jour endormi,
Assis sur la marche lisse, au seuil de la vie,
vit soudain rouler vers lui les fruits.
Ils pétillaient de lumière.
Dans ses bras, les fruits récoltés.
Fruits pressés sur son cœur.
L’agrume chasse l’amertume.

Toi, qui t’épanche à la fraîcheur des fontaines

Toi, qui t’épanche à la fraîcheur des fontaines.
Toi, qui donne tes mains au cours des rivières.
Toi, qui déroule le fil de ton amour
Dans la cascade des tendresses.
Toi, dont les lèvres revivent le baptême.
Laisse couler la parole d’une muse,
la prière des voyageurs du désert.

Qui est cette voix qui résonne dans ce bassin de mosaïque
où l’eau croupit, sale ? C’est toi, la nymphe à petits carreaux,
fine byzantine drapée d’or et d’émeraude,
Égarée parmi les formes mauresques,
Les anges malins, les fleurs de pierre ?

Toi, qui ne voit rien, qui n’entend guère.
Toi, dont la bouche sèche, les oreilles encombrées,
Ne savent plus reconnaître la ruse d’une muse,
Sache que les nymphes sèchent en Sicile.

Qu’y puis-je ?

Qu’y puis-je ? Insolent !
Tes puits épuisent les reins de la terre.
N’es-tu pas de l’espèce des empoisonneurs ?
Prédateur des heures innocentes,
Des sources vitales.
Que la braise de demain enflamme tes remords !
Tu as jeté à l’eau, le berceau du futur. 

Mes lèvres sont si sèches.
Je vais sonder le désert.

Assemble tes semblables,
Lève les cœurs, souffle sur la rage de vie.
Sauve les nymphes sèches de Sicile.